Par Ralph Siméon, journaliste indépendant
Alors que le pays traverse une crise sécuritaire, politique et humanitaire sans précédent, Haïti s’enfonce dans un isolement diplomatique dramatique. Absente, corrompue, décrédibilisée, sa diplomatie n’est plus à la hauteur des enjeux du moment. Elle laisse une nation vulnérable, sans voix, sans protection ni stratégie.
Haïti, un pays isolé du monde.
Depuis bientôt neuf mois, l’aéroport international Toussaint Louverture reste fermé, comme suspendu au ciel chaotique de Port-au-Prince. Dans le même temps, la frontière terrestre avec la République dominicaine est verrouillée, rendant les échanges économiques et humains pratiquement impossibles.
Dans ce contexte, le silence diplomatique d’Haïti est assourdissant. Le pays n’a plus de représentation efficace dans les grandes tribunes internationales. Ni à l’Organisation des Nations unies, ni à la CARICOM, ni à l’Organisation des États américains (OEA), la voix d’Haïti ne pèse ou ne compte. Les absences sont fréquentes. Les discours, rares ou creux. L’isolement est presque total.
Un ministère en déroute
Le ministère haïtien des Affaires étrangères, censé être la tour de contrôle des relations internationales du pays, donne l’image d’un navire à la dérive. À sa tête, Jean-Victor Harvel Jean-Baptiste, actuel ministre, est lui-même persona non grata en République dominicaine, en Jamaïque et entretient des relations plus que tendues avec les États-Unis. Comment exercer une diplomatie active sans pouvoir se rendre chez ses principaux interlocuteurs ? Ce seul fait illustre la perte de crédibilité et l’isolement diplomatique d’Haïti.
Dans ses communications officielles, le ministère multiplie les notes diplomatiques sans impact, sans suivi, et sans coordination visible avec les enjeux réels du moment. L’appareil diplomatique semble déconnecté, parfois paralysé, souvent désorienté.
La diplomatie des copains et des scandales
La perte de crédibilité du réseau diplomatique haïtien ne relève pas uniquement de la conjoncture : elle résulte aussi d’un système de nominations clientélistes, sans critères de compétence ni de mérite.
Sous la houlette de plusieurs gouvernements successifs, y compris du Conseil présidentiel actuel, dont certains membres font eux-mêmes l’objet de poursuites judiciaires pour corruption , des proches de journalistes, d’hommes politiques ou d’alliés de circonstance ont été propulsés à des postes de consul, d’ambassadeur ou de ministre conseiller, parfois sans aucune formation diplomatique.
Cas emblématique : l’affaire Panel Lindor
Le parcours de Panel Lindor illustre jusqu’à la caricature cette dérive de la diplomatie haïtienne. Ancien ministre conseiller à l’ambassade d’Haïti auprès du Royaume de Belgique et du Royaume des Pays-Bas, M. Lindor est nommé le 7 octobre 2024 consul général à Paris par la ministre des Affaires étrangères de l’époque, Mme Dominique Dupuy.
Quelques mois plus tard, il est rappelé pour corruption présumée, mais au lieu de faire l’objet d’une enquête ou d’une suspension, il est transféré comme ministre conseiller au Maroc le 22 mai 2025.
Trois semaines plus tard, à Rabat, il est accusé de viol par une étudiante sénégalaise inscrite en sciences de la santé à l’Université Mohammed VI. Malgré cette affaire, le silence du ministère et l’absence de toute sanction publique jettent une lumière crue sur le système de protection et d’impunité dont bénéficient certains cadres diplomatiques.
Des citoyens abandonnés, une diaspora sans défense
Dans plusieurs pays, les consulats haïtiens sont aujourd’hui inaccessibles ou dysfonctionnels. Des citoyens haïtiens à Paris, Santiago, Montréal ou Miami rapportent des délais exorbitants, une absence de réponse à leurs requêtes, et une forme de mépris institutionnel face à leurs démarches.
Pire encore, alors que la République dominicaine a multiplié ces dernières années les expulsions arbitraires, les mauvais traitements et la xénophobie d’État contre les Haïtiens, aucun ambassadeur ou représentant haïtien n’a pris publiquement la parole avec fermeté pour défendre ses compatriotes.
Depuis août 2023, le président dominicain Luis Abinader a rendu publique une liste noire de personnalités haïtiennes interdites de séjour, dont des membres du gouvernement et des figures influentes. Le gouvernement haïtien n’a jamais exigé d’explication officielle ni exprimé de protestation formelle.
Un urgent besoin de refondation
Ce naufrage diplomatique n’est pas une fatalité. Il est le fruit d’un effondrement institutionnel que seule une volonté politique forte pourra inverser.
Haïti doit d’urgence :
adopter une loi sur la carrière diplomatique pour professionnaliser son réseau ;
auditer l’ensemble de ses missions diplomatiques et consulaires ;
exiger des nominations basées sur les compétences, non les loyautés ;
repositionner sa diplomatie autour de ses priorités géopolitiques (sécurité, diaspora, coopération internationale, développement durable, etc.).
Dans un monde globalisé où la voix des États se négocie, se défend, s’organise, Haïti ne peut plus se permettre de rester sans stratégie, sans éthique et sans diplomates dignes de ce nom.







