Pierre Réginald Boulos arrêté aux États-Unis , Jubilation chez les haïtiens dit de souche.

Le 17 juillet 2025, Pierre Réginald Boulos a été arrêté à son domicile dans le sud de la Floride par les autorités américaines. Résident permanent aux États-Unis et citoyen haïtien, cet homme d’affaires puissant, longtemps considéré comme intouchable, a été placé en détention dans un centre spécialisé, en vue de son expulsion.

Mais ce qui frappe, ce n’est pas seulement son arrestation. C’est la réaction populaire : une sorte de jubilation, un soulagement. Comme si un totem venait de tomber. Parce qu’il ne s’agit pas simplement d’un homme. C’est un symbole de toute une élite, yon gwo nèg, yon gwo zouzoune. Et au fond, c’est aussi le reflet d’une fracture raciale, sociale, historique.

Ce que les États-Unis lui reprochent

Les accusations sont graves. Voici ce que le Département d’État et les services d’immigration américains (ICE) lui reprochent :
1. Soutien aux gangs armés
Il est accusé d’avoir soutenu des groupes violents liés à l’organisation Viv Ansanm, considérée comme terroriste. Washington estime qu’il a contribué à la déstabilisation d’Haïti.
2. Mensonges dans sa demande de carte verte
Il aurait omis de mentionner son implication dans le parti MTVHaïti et certaines poursuites judiciaires pour détournement de fonds en Haïti.
3. Menace pour la diplomatie américaine
Sa présence est jugée nuisible aux intérêts politiques et sécuritaires des États-Unis. Pour Washington, garder Boulos sur le territoire américain est un risque diplomatique.

Un homme de pouvoir… mais aussi un homme de terrain

Ce serait malhonnête de résumer Boulos à un simple oligarque. Il est médecin ,diplômé de la Faculté de Médecine de Port-au-Prince, avec une spécialisation en santé publique à Tulane University.

Dans les années 1980-90, il a été président des Centres pour le Développement et la Santé (CDS). Ces structures ont permis de soigner des centaines de milliers de personnes, notamment à Cité-Soleil, zone alors complètement oubliée de l’État.

Il est aussi le fondateur du Fonds de Parrainage National (FPN), une ONG toujours active, qui a permis la scolarisation de plus de 20 000 enfants haïtiens. Ses actions dans le secteur de la santé communautaire et de l’éducation sont indéniables, même ses opposants les reconnaissent.

Une haine sociale… mais aussi raciale

Il faut avoir le courage de le dire : oui, une partie de la joie populaire est une revanche sociale. Dans un pays où 80 % de la population vit dans la pauvreté, voir un homme riche tomber, c’est une forme de justice symbolique.

Mais ce n’est pas tout.

Il y a aussi une tension raciale larvée, déguisée. Dans l’inconscient collectif haïtien, les familles d’origine libanaise, syrienne ou palestinienne,qu’on appelle souvent “Arabes” ,sont perçues comme des étrangers naturalisés, qui ont pris le contrôle de l’économie sans jamais vraiment s’intégrer au peuple. Ils parlent créole, ils ont le passeport, mais beaucoup ne les sentent ni du quartier , ni du sang.

Une phrase revient souvent :

“Mwen pi alèz ak yon etranje sensè, ke yon fo Ayisyen kap fè lajan sou do pèp la.”
(Je suis plus à l’aise avec un étranger sincère qu’un faux Haïtien qui s’enrichit sur le dos du peuple.)

Une fracture historique jamais refermée

Les “Arabes” sont arrivés depuis 3 ou 4 générations. Ils ont bâti des empires commerciaux, transmis de père en fils, alors que la majorité noire du pays est restée dans la survie. Pas d’accès au crédit, pas de capital, peu de dynasties économiques. Résultat : le fossé n’a jamais été comblé.

Ce n’est donc pas une haine gratuite. C’est une blessure ancienne, un mélange de méfiance raciale, de ressentiment social et de mémoire collective. Un malaise profond entre ceux qui possèdent… et ceux qui luttent pour vivre.

Et maintenant ?

Il faut rester lucide : Boulos n’a pas été arrêté parce qu’il est Libanais, ni parce qu’il est blanc. Il a été arrêté parce qu’il a joué avec les règles, comme beaucoup d’autres. Mais en Haïti, le vrai problème, c’est que ceux qui ont le pouvoir ,quelle que soit leur couleur,utilisent le système à leur avantage.

Boulos, c’est un nom parmi d’autres. On pourrait ajouter :
• Gilbert Bigio
• Antoine Izméry
• Robert Malval
• Sherif Abdallah
• Charles-Henri Baker
• Youri Latortue
• Kesner Joseph
• Jean, Jacques, Wilson, Martelly ,etc.
• Même Aristide, pour certains.

La vérité, c’est que les puissants s’arrangent. Ils s’entraident, ils échappent. Et pendant ce temps, le peuple paie l’addition.

Ce n’est pas un complot,c’est un mécanisme.

Un mécanisme de pillage, de domination, de silence organisé. Un système qui écrase les faibles et protège les puissants. L’arrestation de Boulos, c’est peut-être une fissure. Mais changer le pays, ce n’est pas renverser un homme. C’est renverser un système.

Antoine Bonhomme

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