Quand l’Église ose la vérité : Une parole qui rompt le silence et rappelle l’essentiel

En Haïti, où la parole publique est souvent étouffée par la peur ou instrumentalisée par les puissants, il arrive parfois qu’une voix se lève, nue, grave, sans détour. C’est le cas de la Conférence Épiscopale d’Haïti (CEH) qui, dans une déclaration publiée le 23 juillet 2025, rompt le silence complice et nomme, avec force et courage, l’effondrement en cours du pays.

Dans cette sortie sobrement intitulée « Chaque jour de silence, d’hésitation ou de duplicité est un jour de trop », les évêques haïtiens ne font pas que dénoncer la dégradation sécuritaire ou les dérives politiques. Ils appellent à un sursaut moral, à une refondation du vivre-ensemble, dans un contexte où la société semble au bord de la désintégration.

Le constat des évêques est sans appel : l’État haïtien ne protège plus, ne gouverne plus, ne rassure plus. Le politique a failli à sa mission fondamentale : garantir la sécurité et le droit. Dans un langage sobre mais rigoureux, la CEH décrit une société « en chute libre », soumise à la loi des armes et à la violence gratuite, où la parole et la justice ont déserté l’espace public.

Ce désordre n’est pas un simple accident, disent-ils : il traduit une perte profonde de sens et de repères. Une forme de « déshumanisation » est à l’œuvre, affirment les évêques, qui notent que même les lieux symboliques comme les églises, sanctuaires, ou institutions sont désormais ciblés, comme si l’on voulait effacer jusqu’à la mémoire collective du peuple haïtien.

Dans ce contexte dramatique, la tentative des autorités de transition de proposer un avant-projet de Constitution paraît, selon la CEH, en décalage total avec la réalité. Si le texte reconnaît certaines avancées — inclusion des jeunes, affirmation de droits sociaux, volonté de modernisation — il critique sévèrement l’absence de légitimité dans la méthode employée.

Pour les évêques, une Constitution ne saurait être un simple exercice juridique. Elle est avant tout un contrat moral, un pacte fondateur. Or, sans participation populaire, sans climat de sécurité minimale, une telle démarche risque de produire un texte creux, suspendu dans le vide, incapable de rassembler un peuple en détresse.

Mais au-delà de la dénonciation, la déclaration de la CEH porte surtout un appel à l’éthique. Non pas une morale de façade, mais une éthique du quotidien : celle qui consiste à ne pas détourner les yeux, à refuser la banalisation du mal, à garder vivant le sens de la dignité humaine.

En choisissant de prendre la parole là où beaucoup se taisent, la CEH pose un acte que l’on pourrait qualifier de prophétique. Elle ne se substitue pas aux institutions, ne propose pas de solution miracle, mais rappelle une vérité fondamentale : aucune société ne peut survivre sans conscience, sans repères, sans éthique partagée.

Pour certains, ce texte est une parole de veilleur, dans un contexte de désarroi collectif. Une parole qui refuse l’effondrement comme horizon.

Haïti a besoin de cette parole. Et surtout, elle a besoin que chacun l’entende.

Ralph Siméon, Journaliste indépendant.

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