Depuis sa création en 1995, la Police Nationale d’Haïti (PNH) était censée incarner le renouveau de l’appareil sécuritaire haïtien, débarrassé des dérives et des abus de l’ancienne armée. Mais trente ans plus tard, une question s’impose avec insistance : la PNH est-elle en train de suivre le même chemin de déliquescence, de politisation et d’inefficacité qui a conduit à la dissolution des Forces Armées d’Haïti ?
La réponse à cette question se dessine au fil des mandats de ses directeurs généraux, dont plusieurs se sont plus illustrés par leur proximité avec le pouvoir politique que par leur capacité à sécuriser la population.
Prenons le cas de Léon Charles, sous le commandement duquel des mercenaires étrangers ont pu pénétrer sans grande résistance la résidence du président Jovenel Moïse, pour l’assassiner. Un échec de sécurité d’une ampleur inédite.
Frantz Elbé, alors qu’il était directeur général de la police nationale d’Haïti avait une entreprise privée de sécurité, ce qui soulève des conflits d’intérêts flagrants. Sous sa direction, une bonne partie de la capitale, la commune de la Croix-des-Bouquets, ainsi que des zones entières de l’Artibonite, ont été livrées aux gangs armés.
Normil Rameau, reviens pour la deuxième fois à la tête de la PNH et sous son commandement l’insécurité a atteint un pic alarmant : des milliers de déplacés internes, Port-au-Prince quasiment fragmentée en zones de non-droit, la commune de Ganthier, Mirebalais, Saut-d’Eau sous emprise criminelle, et même Kenscoff, réputée paisible, désormais sous contrôle de bandes armées.
Mais plus inquiétant encore est le constat que de nombreux éléments pourris (« ripoux ») gangrènent les rangs de la PNH. Des policiers qui collaborent avec les groupes armés, qui ferment les yeux moyennant quelques billets ou qui participent activement au chaos. Une infiltration criminelle parfois protégée ou utilisée par certains politiciens, qui font de la violence un levier de pouvoir.
Ce sombre tableau invite à une réflexion de fond : la PNH est-elle toujours une institution républicaine au service du peuple, ou est-elle en train de devenir, à l’instar de l’ancienne armée, un instrument dévoyé, affaibli, gangrené par la politique et l’incompétence ? Si la police, dernier rempart institutionnel contre le chaos, s’effondre, que restera-t-il pour assurer un minimum d’ordre et de sécurité en Haïti ?
Il est plus que temps de repenser le modèle, de mettre fin à la nomination de directeurs sur des critères politiques ou de favoritisme, et d’exiger des résultats concrets. Car sinon, la PNH pourrait bien subir le même sort que l’armée : décriée, démantelée, discréditée.
Et dans un pays comme Haïti, cela équivaudrait à un saut dans le vide, et c’est la nation toute entière qui bascule dans le néant. Et ce néant, nous y sommes presque.
Ralph SIMÉON